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- Voyages d'Ecrits -
16 octobre 2016

Éprise au piège - Chapitre deux

Une fois qu'on a réussi à s'extraire de la spirale de dépendance affective malsaine créée par le manipulateur pervers, vient l'étape de la reconstruction psychologique.

Pour parvenir à reprendre confiance en soi, à reprendre sa vie en main et à lutter contre les fréquentes frayeurs (crises de panique, effets post-traumatiques) qui vont assaillir la personne de façon aussi soudaine qu'inattendue pendant de nombreuses années dans certaines situations de stress qui la renverront à certains épisodes de l'enfer qu'elle a vécu, il faut s'entourer de personnes sincèrement bienveillantes.

Des personnes auxquelles on pourra se confier sans être jugé(e), qui sauront ainsi ce par quoi on est passé(e), qui croiront ce que l'on racontera et qui voudront simplement soutenir "l'ex-victime" et l'aider à avancer. De telles personnes sont rares, que ce soient des psychologues (voir mon article précédent : peu d'entre eux sont sensibilisés à ce problème) ou des personnes "lambda" (cela dit sans mépris aucun). Le fait d'avoir réussi à s'extraire des griffes d'un manipulateur psychologique fait prendre conscience de l'importance de tous les signaux d'alarme que l'on perçoit lorsqu'on rencontre une nouvelle personne. Il est impératif de laisser tomber toute "rencontre" potentiellement néfaste, auprès de laquelle on ressent une certaine gêne, un certain malaise et de ne conserver dans son entourage que des gens qui nous "font du bien".

Les étapes de la reconstruction psychologique sont très bien définies par Geneviève Schmit, psychologue récemment reconnue experte dans le domaine de la manipulation perverse, sur son site Internet pervers-narcissique.fr :

"1. Pour renaître d'une relation avec un pervers narcissique, il faut tout d'abord prendre conscience que l'on se trouve, parfois depuis des années, avec ce personnage diabolique.

2. Une fois ce constat fait, un état de choc peut s'installer puisque l'on se trouve devant une double réalité : "amour" et instinct de survie.

3. Il est important, dès lors, d'accepter de se positionner momentanément dans ce statut de "victime" et mettre le PN dans celui de "bourreau".

4. Un  travail de renforcement de soi, de réassurance, un plein d'énergie est à mettre en place par tous les moyens appropriés. Cela va du mental, du physique, du comportemental et de l'environnement aussi.

5. Vient sans doute le moment de poser des actions fortes. Des actions personnelles (fuir si c'est possible) et d'autres plus officielles (plaintes, avocats...).

6. Une fois tout cela mis en place, un travail sur les réflexes de panique ainsi que sur l'addiction (amour) trouve toute son importance. Une renarcissisation va être vécue.

7. Progressivement, la "victime" va sortir de ce statut et retrouver les libres choix et, je l'espère, celui de VIVRE !

8. Il me semble que l'on peut même terminer la reconstruction par une réelle résilience positive. Une prise de conscience, peut-être, que cette terrible expérience de vie nous a permis de "grandir" et qu'elle peut transformer en autre chose de beau et de sain.

Geneviève Schmit"

Les articles de Geneviève Schmit m'ont été d'une grande aide et d'un grand soutien à de nombreuses reprises durant ces sept dernières années. Pour comprendre, pour réfléchir, pour agir enfin. Sept ans après avoir réussi à m'extraire de l'emprise d'un manipulateur, je peux dire que j'ai bien progressé. Je travaille toujours sur mes réflexes de panique, relativement exacerbés, mais aussi sur la confiance que je peux accorder aux autres, point délicat que celui-là. Concernant l'addiction, le rapport faussé à l'amour, j'en suis sevrée, et je ne m'étalerai pas sur le sujet. J'ai repris ma vie en main depuis plus d'un an et je suis heureuse que mes choix me mènent progressivement là où je souhaite aller. J'ai la chance d'avoir rencontré des personnes "vraies" auprès desquelles j'ai trouvé toute la sérénité nécessaire pour me reconstruire. L'un des points les plus importants est de tisser ensuite autour de soi des liens sociaux : tout ce dont nous (nous, victimes) prive le manipulateur en nous coupant de nos amis, de notre famille et du monde extérieur afin de nous garder sous sa seule influence.

À chaque victime ou ex-victime de manipulateur de choisir le chemin qu'elle empruntera pour se reconstruire. Bon courage à toutes et tous. 

Ci-dessous, le chapitre 2 de mon deuxième roman, Éprise au piège.

 

gensvoyage

Photo du net - gens du voyage

2

 

1998.

Début mars, C. se lasse de la Provence. Nous revenons dans notre région « d’origine » pendant deux mois, puis nous repartons à la recherche du soleil, au printemps, dans le Sud. Alors que je pense avoir cerné et accepté les difficultés inhérentes à ce mode de vie, une nouvelle difficulté se présente : nous ne trouvons aucune place désignée…

 La loi du 5 juillet 2000, relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, imposera à toute commune de plus de 5 000 habitants de mettre à leur disposition un terrain susceptible de les accueillir dans les meilleures conditions. Pour l’heure, force est de constater que les maires sont peu nombreux à accepter un tel fardeau. Je ne peux que les comprendre. Jusqu’à cette loi, et même après, les nomades devront se débrouiller au mieux pour dénicher un lieu de séjour. Accompagnés de plusieurs caravanes de la famille de C., nous nous installons tant bien que mal dans une zone semi-industrielle, où ni eau ni électricité ne sont disponibles. Pour moi, c’est l’horreur. Je présente clairement à C. ma façon de penser : il est hors de question que je ne bénéficie pas du minimum vital. Je lui reproche cet inconfort dont il n’est pas responsable, d’autant qu’il vient de passer des heures en voiture, avec ses cousins, à la recherche d’un endroit où nous brancher. Nous connaissons là notre premier conflit ouvert. Je refuse de vivre comme un chien, sans eau ni électricité, bases nécessaires au bon déroulement d’une journée. Je refuse d’accepter un mode de vie digne d’un pays sous-développé, alors que je vis en France en 1998. 

—    Je ne veux pas rester dans cette ville ! Je veux rentrer chez nous. T’imagines l’enfer que ça va être pour moi, si je ne peux même pas avoir d’eau ?

Ma colère est si intense, je suis si déterminée à ne pas céder, que C. ne réagit pas. Il est impuissant à apporter une solution, mais il n’accepte pas que nous rentrions. Abandonner ses cousins parce qu’on n’a pas la possibilité d’avoir les commodités essentielles l’humilierait, car cela signifierait que c’est sa femme qui porte la culotte et qui refuse de s’adapter. Et de cela il n’est pas question. Voyant qu’il ne pourra pas m’amener à de meilleures dispositions, il craque, ce jour-là. Dans le secret de notre caravane, il se laisse tomber sur le bord du lit, se prend la tête entre les mains et se met à pleurer. Debout à un mètre de lui, je suis pétrifiée de stupeur. Il serait si simple de rentrer chez nous et, à cause de stupides principes de fierté masculine, sa seule réponse est la faiblesse ? Je n’en reviens pas qu’il campe à ce point sur des positions d’un autre âge, qu’il refuse de me faire plaisir alors même que je ne demande pas la Lune. Ce que je lui dis d’ailleurs, de façon posée, sur le ton le plus doux possible, afin de le ramener à de meilleures dispositions.

—    Je ne peux pas… bredouille-t-il entre deux sanglots. C’est impossible, on n’a pas trouvé de lieu où se brancher…

Je répète de nouveau que le plus simple est encore de rentrer chez ses parents, mais cette option n’est pas recevable. Soudain, il se redresse, soulève le caisson et en tire son fusil. Il rabaisse le lit, se rassoit, et menace d’attenter à sa vie en braquant le canon de l’arme contre son cou. Le voir pointer cette horreur contre lui-même me plonge dans un désespoir infini. Est-il à ce point impuissant à nous donner plus de confort qu’il en arrive à perdre pied ? La situation le met-elle face à ses propres limites ? Cela lui est-il si insoutenable, de se sentir acculé de la sorte, qu’il en vienne à sombrer ? Quelles pensées peuvent bien lui passer par la tête pour qu’il veuille se suicider sous mes yeux ? Je ne comprends pas sa réaction si vive, violente et complètement démesurée. Je ne comprends pas que ma demande du minimum de confort conduise à un tel psychodrame. Cela n’a pas de sens. Je m’agenouille devant lui, approche mes mains pour l’apaiser. Pendant de longues minutes, je tente de le convaincre :

—    Pose ça, voyons. Ne te mets pas dans un état pareil... Pas la peine d’en arriver là juste parce que je te demande d’avoir l’eau et l’électricité sur la caravane…

 Mais il pleure toujours, prétend qu’il ne peut pas me donner ce que je demande, qu’ils ont cherché partout une meilleure place. Il accentue la pression de son doigt contre la détente. Une vision d’horreur sanglante me traverse l’esprit. Je n’arrive pas à croire que la situation puisse dégénérer ainsi. Je lui demande de rentrer chez nous, lui dis que ça nous fera du bien, que nous n’y sommes pas mal et qu’il y travaille bien. Pas besoin de s’obstiner sur le voyage quand les conditions ne sont pas réunies pour vivre correctement. Mais il rejette toujours de façon catégorique l’option du retour. Je sens que je m’enfonce dans quelque chose dont je peinerai à m’extraire. Plus je tente de le raisonner, plus l’affreuse certitude de me faire prendre dans un piège dont je ne mesure pas l’ampleur m’étouffe et m’étourdit. Pour que l’affrontement cesse, je suis contrainte d’accepter des conditions de vie qui me déplaisent.

—    J’apprendrai à vivre sans eau courante ni électricité, si tu veux. Je peux essayer. Mais il faut que tu me laisses du temps, tu comprends… Arrête, c’est ridicule… S’il te plaît…

À ces mots, son visage se détend enfin. Il consent à poser le fusil, que je range aussitôt. Il se dirige vers la porte sans se retourner, ne m’adresse ni une parole ni un regard. Je le considère avec perplexité et angoisse. Il semble faible, et pourtant, il peut se montrer si effrayant dans la colère et l’intimidation ! J’ai du mal à saisir ce qui se trame entre nous. Ses réactions illogiques, exagérées et bornées m’échappent totalement.

L’antichambre de l’enfer est un terrain herbeux, entre deux usines, non loin d’une voie ferrée. Avec ses cousins, qui ignorent tout du drame qui s’est joué la veille au soir, C. branche un tuyau à une borne d’incendie, puis en raccorde deux autres à son extrémité. Les machines à laver sont posées côte à côte sur des palettes, livrées aux quatre vents : aux femmes ensuite d’enclencher leur lessive chacune à leur tour avec le premier raccordement. Le second reste libre et permet de remplir des gamelles pour la cuisine, la vaisselle et les soins corporels. Nous nous équipons de « cruches », des bidons en plastique de dix litres où nous réservons le précieux liquide pour la journée. Aucune des femmes ne bénéficie de l’arrivée d’eau sur sa caravane, et aucune ne s’en plaint. Je dois apprendre à me laver à la bassine. Un cauchemar chaque jour renouvelé. Au début, je prends les choses avec sourire et entrain, motivée par l’originalité de ce mode de vie. Mais, au fil des jours, chauffer de l’eau dans une casserole ou dans une bouilloire, la mélanger avec l’eau froide pour obtenir la bonne température, puis m’armer d’un bol pour puiser le brassage tiède et le verser sur mon corps pour me rincer me révulse. Le temps passé à la toilette est interminable. Mes cheveux sont ternes. J’ai toujours la sensation désagréable qu’ils sont sales, malgré le temps passé en rinçages successifs. Le pire arrive au moment des règles. Ces périodes ne sont déjà pas agréables à supporter en temps normal, mais s’il faut en plus se laver de façon approximative…

Une autre source de problème dans la vie nomade concerne les bouteilles de gaz, qui servent au chauffage, au fonctionnement de la plaque de cuisson, du frigo quand il n’est pas alimenté par l’électricité, mais aussi à obtenir de l’eau chaude. Les bonbonnes sont tombées en panne plusieurs fois alors que je me lavais, cet hiver… J’ai très souvent dû me rincer à l’eau froide. Il me restait toujours une sensation de mauvais rinçage, comme si une couche de savon restait obstinément engluée sur ma peau. Je prenais pourtant soin de surveiller la jauge de façon régulière, mais cela ne suffisait pas à éviter certaines déconvenues. Aller chercher des bouteilles de gaz pleines pour remplacer les vides constitue aussi une activité nouvelle pour moi, à laquelle C. parvient à se soustraire de plus en plus souvent.

Pour profiter de l’électricité, les voyageurs raccordent leurs fils aux lampadaires communaux. Étant donné que ces derniers ne sont activés qu’à la tombée de la nuit, il faut opérer un petit bidouillage électrique pour obtenir le courant en permanence. Les voyageurs sont habitués à pratiquer ces bricolages de fortune, et les accidents sont rares – mais graves, hélas. Je suis d’ailleurs étonnée, au fil des ans, que ces électriciens du dimanche ne soient pas blessés plus souvent…

 

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Le deuxième chapitre est disponible dans sa totalité en téléchargeant le document PDF, ici : ÉaP - Chapitre 2

Éprise au piège, roman publié aux éditions Les 2 Encres en 2013.

Pour plus d'informations sur le roman et la maison d'édition, suivez ce lien.

lâcheté

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